La Shékinah

La présence de ce terme dans divers rituels, et de façon plus générale dans les textes qabalistiques modernes, où il n’est presque jamais expliqué, m’a amené à rédiger ce court traité où je mets en forme les diverses informations que les textes traditionnels, en particulier le Sépher ha-Zohar, donnent sur la Shékinah. On notera que certaines données sont plus des pistes de réflexions, des germes de méditation, que des renseignements directement exploitables.

I. Les sens du mot

Le mot hébreu « shékinah » vient de la racine שכן (ShKN), qui a donné les mots signifiant résider, habiter, demeurer, installer, établir, locataire, résident, voisinage, voisin(e), domicile, demeure, réceptacle, résidence. La Qabale enseigne que la Shékinah est la Présence divine, l’aspect féminin de Dieu, directement reliée à Malkouth (le monde manifesté). C’est en quelque sorte l’immanence divine, la manifestation divine dans le monde matériel. En règle générale, nul ne peut s’adresser directement à Dieu ; il faut passer par la Shékinah, qui a tous les pouvoirs du Maître de l’Univers. On peut dire que la Shékinah est au monde manifesté ce que l’âme est au corps ; mais elle est à Dieu ce que le corps est à l’âme. Son étymologie nous montre qu’il s’agit également d’un aspect de la divinité qui réside au voisinage de l’homme. Cependant, il faut que certaines conditions soient remplies pour qu’elle le fasse. En effet, la Shékinah ne repose qu’en un lieu complet, et non en un lieu incomplet, ou ébréché. De plus, elle ne repose jamais sur les gens tristes, mais seulement sur les joyeux. La Shékinah ne peut s’attacher à l’humain que si celui-ci est « en joie », et certainement pas dans un lieu de tristesse : la présence de Dieu est toujours associée à la joie. La Shékinah est la présence divine mystérieuse et sacrée entre toutes, qui, ressentie ou perçue comme un rayonnement, s’est révélée à certaines époques et à certains endroits aux âmes chères à Dieu. On dit qu’elle est le canal par où descendent les influx prophétiques. Les Séphiroth, ou « couleurs d’en Haut », se reflètent dans la Shékinah, ou « vision. »

II. Eloignement et proximité de la Shékinah

La Qabale enseigne que tout ici-bas est formé de « pelures », l’une à l’intérieur de l’autre; les pelures extérieures sont les plus souillées par le démon, et, à mesure qu’elles s’approchent du centre, elles sont épurées. Plus on est près de la Shékinah, qui réside dans le Tabernacle, plus on est épuré. Cependant, cette distinction entre Dieu et la Shékinah n’est possible que dans les mondes inférieurs de Yétsirah et Âssiah. En effet, il est dit qu’en Atsilouth et en Briah, tout est rempli de Dieu, et Dieu y est tout. Dieu et Shékinah sont unis, il n’y a aucun « démon ». Quiconque désire s’associer à la Shékinah doit observer la chasteté et rester à la fois masculin et féminin (dynamique et réceptif); car la Shékinah ne s’attache qu’à l’endroit où masculin et féminin sont unis. Si ces conditions sont réunies, il renforcera sa foi (אמון, amoun) et alors la Shékinah ne se séparera plus jamais de lui. A l’inverse, si quelqu’un rompt avec la Loi et ses commandements, la Shékinah se retire, le fleuve d’énergie cesse d’alimenter les Séphiroth.

III. L’union du Haut et du Bas

Ceux qui savent plaire à leur Créateur connaissent la façon de réparer le chemin de la Shékinah, en la faisant revenir à sa place, en restaurant les canaux détruits. Alors la Shékinah accorde ses bénédictions aux êtres d’En Bas, permettant aux Séphiroth d’emplir Malkouth (la Shékinah d’En Bas) et ainsi d’unir le Haut et le Bas. Cette union du Haut et du Bas est fondamentale dans la mystique qabalistique. On distingue (1) les Eaux d’En Haut, qui sont masculines et correspondent à Elohim, à la paternité, à la Séphirah Binah (fondement du Monde d’En Haut), et à la Jérusalem Céleste (les 12 Piliers Célestes) ; et (2) les Eaux d’En Bas, qui sont féminines et correspondent à Adonay, aux engendrements, à la Séphirah Malkhouth (fondement du Monde d’En Bas), à la Shékinah et à la Jérusalem Terrestre (les 12 Tribus). Les Eaux d’En Bas, féminines, sont nourries par les Eaux d’En Haut (masculines). Le monde mâle d’En Haut est étroitement attaché au monde femelle d’ici-bas. Tout ce qui est dans le monde ici-bas est attaché aux choses d’En Haut. On voit donc que Binah et Malkouth sont particulièrement liées l’une à l’autre. Malkouth a comme Binah son propre aspect féminin de la divinité : la Shékinah, aussi appelée Matrona. Il existe un lien très étroit entre la Mère Céleste (Binah) et la Matrona (Malkouth), car cette dernière est nommée « Reine du Shabbath », donc du Samedi, jour consacré à Saturne (planète de Binah). C’est pourquoi l’on dit qu’il y a une Shékinah inférieure, appelée « servante », et une Shékinah supérieure, appelée « fille du roi ». Binah est cette « Shékinah Êylaah » (supérieure), car elle est le mystère de la réception de l’abondance du monde d’En Haut, qui est la miséricorde absolue. Malkouth, bien sûr, est la Shékinah Tachtah, ou inférieure.

IV. Autour de la Shékinah

Il est dit que 3 légions d’anges, pour un nombre total de 70 (ou 72) anges, entourent la Shékinah. Elle possède également quatre « Camps », qui sont identiques aux quatre Fleuves de l’Eden et gouvernés par les quatre Saintes Forces de Vie (Chayoth ha-Qodesh) de la Vision d’Ezéchiel, qui sont aussi les Quatre Eléments par lesquelles le monde est agencé. D’une certaine façon, ces quatre Camps se tiennent sous Malkouth, et ils sont subordonnés à Adonay. Les Quatre Chayoth protègent le Juste afin que les forces de l’Autre Côté ne puissent l’approcher. On dit aussi que sous Malkouth se trouvent les 12 pierres du « Monde de la Séparation ». Elles ont pour origine la pierre de l’angle, qui est la Shékinah. Elles sont disposées par 3 à chacune des 4 directions du monde. Métatron, ce personnage mystérieux, est également lié à la Shékinah. Il est dit « fils de Yared » car il est le fils de celle qui descend (ירד, YRD = descendre) sur la Terre, la Shékinah. Il est sa force, et on sait qu’il « contemple Dieu en face » : la tradition a fait de lui l’archange de la Séphirah Kéther.

V. D’Adonay à YHWH : les degrés de la Révélation

Le Nom divin Adonay qualifie la Shékinah. C’est le Nom qui a clôturé tout ce qui a été créé. Il est la clé pour accéder à la première porte (la Séphirah Malkouth), et il est le fondement de la véritable unité. Comme il est dit plus haut, ce n’est que dans l’unité de l’être humain, mâle et femelle, que la Shékinah descend. En effet, Echad (אחר, un en hébreu) est composé de :

 Aleph = 1 = Kéther

 Cheth = 8 = les 8 Séphiroth de Chokmah à Yésod

 Daleth = 4 = les quatre divisions de Malkouth.

Ainsi, seule l’unification des Séphiroth en un Tout permet la descente de la Shékinah, qui est donc analogue à la Sophia gnostique. Le Sépher ha-Zohar explique également que quand Adonay est uni à El Chay, il s’assied sur le trône de Malkouth et gouverne le monde. Quand il n’est pas uni à El Chay, la Shékinah part en exil, soumise à d’autres puissances. Il s’agit de l’union de Malkouth, la Femelle, et de Yésod, le Mâle Le Zohar explique en effet que Dieu se révèle d’abord par les degrés d’Adonay (= Malkouth) et de Shadday (= Yésod) ; puis, quand la Shékinah épouse l’âme sainte, symbolisée par Moïse (celui qui est tiré des Eaux et qui ne craint pas le Feu), Il se révèle alors comme YHWH. Concernant ce dernier Nom sacré entre tous, il est dit que si Vav et le 2ème Hé ne sont pas unis, il ne peut pas y avoir d’union entre Yod et le 1er Hé.

VI. Conclusion

La Shékinah est tout ceci, mais elle est surtout l’équivalent qabalistique d’autres grandes figures féminines dans d’autres courants de la Tradition. Dans le courant égyptien, elle est l’équivalent de la Grande Déesse de la Magie et de la Nature, Isis; et dans le courant néoplatonicien, elle est la Magicienne, Hécate, qui n’est pas ici, contrairement à ce que l’on pourrait croire, une déesse de la sorcellerie maléfique, comme elle l’a été dans l’âge classique de la Grèce antique, mais la Grande Déesse des Forces Invisibles de l’Hermétisme alexandrin, la parèdre d’Hermès. Elle est l’aspect féminin de Dieu, son aspect omniprésent, immanent. Elle est donc aussi le Saint-Esprit, la Mère, et la Shaktî, la Puissance manifestée de Purusha dans l’Hindouisme.

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